Désarmement

Déclaration de S.E.M Idriss Jazaïry sur le thème : « Garanties négatives de sécurité », Conférence du Désarmement session 2011, Genève le 10 février 2011.

Conférence du Désarmement

Année 2011

 

 

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Intervention de S.E.M. Idriss Jazaïry

Ambassadeur, Représentant Permanent d’Algérie

 

Sur le thème : « Garanties négatives de sécurité ».

 

Devant la plénière du 10 février 2011

 

 

 

Monsieur le Président,

 

Les garanties négatives de sécurité sont un élément essentiel pour les besoins de sécurité des  Etats non dotés d’armes nucléaires contre l’emploi ou la menace d’emploi de telles armes. 

 

La garantie la plus efficace contre le recours à de telles armes réside évidemment dans leur élimination totale et complète, à travers des mesures d’un réel désarmement conformément aux dispositions de l’article IV du TNP.

 

La question des garanties de sécurité négatives remonte à la période de lancement du processus visant à conclure un Traité sur la non-prolifération d’armes nucléaires. La résolution de l’Assemblé générale  de l’ONU n° 2153 de novembre 1966 avait demandé aux Etats de conclure un Traité sur la non-prolifération d’armes nucléaires et chargé le Comité des Dix huit  Puissances sur le Désarmement « d’examiner d’urgence la proposition tendant à ce que les puissances dotées de l’arme nucléaire donnent l’assurance qu’elles n’utiliseront ni ne menaceront d’utiliser de telles armes contre les Etats non dotés d’armes nucléaires et n’ayant pas d’armes nucléaires sur leur territoire ».

 

Cette question figure à l’ordre du jour de la Conférence du Désarmement  depuis sa mise en place en 1978. Dans le document final de la 1ère session extraordinaire consacrée au désarmement de 1978, il a été demandé aux Etats dotés d’armes nucléaires de poursuivre leurs efforts pour conclure des arrangements appropriés et efficaces à même d’assurer les Etats non dotés de telles armes contre l’emploi ou la menace d’emploi de ces armes.

Depuis, des efforts ont été déployés pour parvenir à cet objectif tant dans le contexte du TNP que dans le cadre de la CD. Cependant, leurs résultats sont modestes.

 

En souscrivant au TNP, les Etats non dotés de l’arme nucléaire, dont  l’Algérie, ont pris l’engagement de ne pas acquérir de telles armes. Il est donc de leur droit légitime d’exiger des garanties de sécurité crédibles pour les mettre à l’abri de l’emploi ou de la menace d’emploi de telles armes. Ces garanties seraient de nature à atténuer l’asymétrie de sécurité entre Etats dotés et Etats non dotés inhérente au TNP lui-même, et ce au nom du principe de sécurité non diminuée pour tous.

 

Des garanties multilatérales et irrévocables accordées dans ce sens renforceraient la confiance dans le régime de non-prolifération nucléaire et donc sa crédibilité et encourageraient le désarmement nucléaire, consolidant ainsi la paix et la stabilité internationales. Comme il a déjà été souligné ici lors des débats thématiques sur cette question qui ont eu lieu par le passé, si le TNP fait face à des tensions, c’est précisément parce qu’il ne procure pas le sentiment de sécurité nécessaire aux Etats non dotés.

 

Les mesures préconisées devraient s’inscrire dans une logique tendant à réduire le rôle de l’arme nucléaire dans les politiques de sécurité dans la perspective de l’interdiction de leur emploi. Car, il est incompréhensible qu’une arme inconciliable avec le respect des principes du droit humanitaire puisse continuer de jouir d’une quelconque légitimité. L’Assemblée générale des Nations Unies a affirmé dans sa résolution n° 1653 de 1961 que l’emploi d’armes nucléaires était contraire à l’esprit, à la lettre et aux buts de la Charte des Nations Unies. La Cour internationale de Justice a conclu, dans son avis consultatif de juillet 1996 que l’emploi ou la menace d’emploi des armes nucléaires est contraire, de façon générale, aux règles de Droit international applicables dans les conflits armés et en particulier aux règles du Droit international humanitaire.

 

Le Conseil de Sécurité dans la Résolution n° 984 de 1995, de son coté, considère  qu’au sens ou l’entendent les dispositions pertinentes de la Charte des Nations unies, toute agression avec l’emploi d’armes nucléaires mettrait en danger la paix et la sécurité internationales. 

 

Monsieur le Président,

 

Des garanties de sécurité ont été données dans le cadre de la résolution du Conseil de Sécurité n° 268 de 1968, des déclarations unilatérales de 1978, 1982 et de la résolution 984 de 1995 du Conseil de Sécurité. Par ailleurs, d’autres mesures sont prévues dans le contexte de Protocoles annexés aux Traité mettant en place des zones exemptes d’armes nucléaires.

 

Comme je l’ai déjà déclaré, l’Algerie salue l’évolution positive contenue dans la nouvelle posture nucléaire américaine (Nuclear Posture Review). Cependant, nous continuons de croire que le régime actuel n’est pas suffisant pour répondre aux besoins de sécurité des Etats non dotés de l’arme nucléaire. En effet, les déclarations unilatérales qui sont de surcroit soumises à conditions ne constituent pas des instruments juridiques contraignants.

 

De même, les garanties offertes dans le cadre des zones exemptes d’armes nucléaires sont elles aussi conditionnelles. De plus, ce statut ne couvre pas toutes les régions du monde, notamment celles caractérisées par les tensions les plus aigues.

 

La zone du Moyen-Orient en est l’illustration. Malgré les appels incessants de la Communauté internationale, des résolutions onusiennes et des conclusions des Conférences d’examen du TNP, cette zone tarde à voir le jour. La raison est à rechercher dans le refus d’un seul pays de la région devenu puissance nucléaire de facto dans le silence complice, ou même avec la coopération active, de ceux qui s’élèvent contre les risques de prolifération nucléaire ailleurs dans la même région.

 

Monsieur le Président,

 

Certains Etats dotés d’armes nucléaires poursuivent des programmes de modernisation de leurs arsenaux nucléaires pour maintenir une capacité de dissuasion nucléaire dite « crédible ». Au lieu d’être réduit, le rôle assigné à ces armes est rehaussé pour  préserver « des intérêts vitaux », faire face à des défis présomptifs dans l’absolu ou réagir à des attaques par d’autres armes de destruction massive. Ainsi, les doctrines nucléaires adoptées vont au delà des doctrines de dissuasion traditionnelles. Elles élargissent les possibilités de recours à ces armes même contre les Etats non dotés, remettant parfois en cause les engagements déjà pris en matière des garanties.

 

L’article 51 de la Charte des Nations Unies relatif à la légitime défense ne peut être invoqué pour justifier l’emploi ou la menace d’emploi de telles armes contre les Etats non dotés d’armes nucléaires. Une telle position ne pourrait être prise qu’au mépris des principes élémentaires du droit humanitaire, tels que la proportionnalité et la distinction entre les civils et les combattants.

L’évolution inquiétante des doctrines de dissuasion souligne davantage le bien- fondé de notre revendication pour des garanties de sécurité efficaces. Des garanties qui, pour être crédibles doivent être codifiées dans le cadre d’un instrument juridique multilatéral contraignant.

 

A cet égard, il y a lieu de garder à l’esprit la décision n° 2 de la Conférence d’examen du TNP de 1995 relative aux principes et aux objectifs de la non-prolifération et du désarmement nucléaire. Cette décision prévoit la possibilité d’envisager de nouvelles dispositions pour mettre les Etats non dotés d’armes nucléaires parties au TNP à l’abri de l’emploi ou la menace d’emploi de telles armes. Les dispositions évoquées pourraient consister en un instrument international ayant juridiquement force obligatoire.

 

Dans ce contexte, l’Algerie rappelle la revendication du Sommet des Mouvement des Pays des Non Alignés de Sharm Al Sheikh de juillet 2009 de  conclure un instrument universel juridiquement contraignant, accordant des garanties de sécurité inconditionnelles au profit des États non dotés d’armes nucléaires,

 

L’Algérie souscrit à la Résolution de l’Assemblée générale de l’ONU n° 65/43 sur cette question. Elle  est favorable à la mise en place d’un organe subsidiaire, dans le cadre d’un programme de travail complet et équilibré, pour négocier un instrument juridique international ayant force obligatoire et interdisant de manière claire et crédible l’emploi ou la menace d’emploi des armes nucléaires contre les Etats non dotés de telles armes.

 

Nous comprenons la difficulté et les divergences liées  au cadre de négociation de cette question. Certains préfèrent qu’un accord en la matière soit conclu dans le cadre du TNP. D’autres privilégient la CD.

 

La délégation algérienne est d’avis que la CD est le cadre approprié pour traiter cette question. Le mandat contenu dans la décision CD/ 1864 et qui est consacrée dans la mesure n° 7 du Plan d’Action adopté par la Conférence d’examen du TNP de 2010, est assez souple pour permettre de prendre en charge les préoccupations de tous.

 

En cas de blocage d’autres éléments du programme de travail et compte tenu du large soutien dont jouit ce thème des garanties négatives de sécurité, je partage les points de vues exprimés par les Honorables Représentants du Pakistan et de l’Ukraine selon lesquels ce thème est mûr pour qu’on puisse l’aborder dans le cadre d’un groupe de travail de la CD. Ce serait  là une démarche susceptible de créer la confiance pour s’engager résolument sur les autres thèmes centraux relevant de notre mandat.

 

Je vous remercie de votre aimable attention.